Les passeurs

Les ateliers Cogito se déroulent tous les 3° jeudi du mois à 18h15, à l’ES Art Factory, 5 rue du Général Vincent à Montpellier.
J'y aborde à chaque fois une reflexion sur un thème différent, sociétale, philosophique ou symbolique.
Des échanges, sous la forme de causeries libres et respecteuses font suite à mon intervention.
Entrée libre avec participation au chapeau.
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Les textes de chaque Cogito ainsi que les Podcasts sont ensuite publiés sur mon site.
Partage libre et encouragé à condition de citer la source.

Avez-vous déjà eu le privilège de rencontrer un passeur ?

Un passeur, c’est quelqu’un qui traverse rapidement votre vie, de quelques minutes à quelques jours (parfois plus longtemps), et qui vous délivre un message, dont, consciemment ou inconsciemment, vous garderez la trace et le bénéfice jusqu’à la fin de vos jours.

Mais quel type de message me demandez-vous ?

Mais vous n’écoutez pas, je viens de vous le dire, il délivre un message. Un message suffisamment fort pour « délivrer » ! Il vous délivre d’un poids, d’un blocage psychologique, d’un problème, d’une question obsédante ou d’une peur. Récents ou anciens.

Avec le temps et l’expérience, je me suis rendu compte que j’avais moi-même été un passeur. J’en ai eu la révélation le jour où je me suis interrogé sur la brièveté de certaines rencontres. Pourquoi des personnes, avec qui la complicité des âmes avait été immédiate, s’en étaient allées, rapidement et sans explications ?

J’ai alors eu l’intuition que j’avais été placé sur leur chemin pour leur délivrer un message et les délivrer. Une fois le travail effectué, l’univers signifie à chacun de retourner à sa vie respective.

Je vais vous conter deux de ces expériences.

J’ai fait il y a quelques années la connaissance d’une jeune femme prénommée Khadija. Elle était arrivée presque par hasard un soir à la librairie lors d’un café littéraire. Nous avions fait ensemble quelques sorties, dont une au restaurant. Il nous était également arrivé de prendre l’apéritif dans l’arrière-boutique. 

Très vite, Khadija m’avoua être angoissée à l’approche d’une expérience qu’elle allait devoir vivre. Elle me raconte que son père, décédé il y a quelques années, et enterré en France, allait être exhumé pour ensuite être transféré et inhumé, au pays, en Algérie.

J’ai été littéralement stupéfait ! Car j’avais vécu exactement la même expérience en 2008, pour mon père, mais de l’Algérie vers la France.

Je lui explique donc qu’elle n’est pas seule, que d’autres avant elle ont déjà connu cette expérience. Je lui relate mon histoire. J’ai assisté à l’exhumation de mon papa. J’ai vu son crâne détaché de son squelette, dans ce qui restait de son costume. Les autorités consulaires étaient présentes, la police locale, les militaires (le cimetière chrétien jouxte une base aérienne), ainsi que les services funéraires qui avaient procédé à l’opération pour transférer la dépouille dans un nouveau cercueil. Quelques amis algériens étaient venus pour nous soutenir, ma mère et moi, dans cette épreuve totalement surréaliste.

Je n’ai jamais revu Khadija, mais je sais qu’elle a pu traverser cette mésaventure sereinement et qu’elle n’en gardera pas un souvenir traumatisant.

J’ai également été le passeur pour Marc. Il m’avoua un jour ne plus savoir où il en était dans son identité. Il avait été abandonné, tout petit, par sa mère d’origine tunisienne vivant en France. Il avait rapidement été adopté par une famille qui l’avait aimé et apporté une éducation sans failles. Il avait pu se construire ce qui n’est pas toujours évident pour un enfant adopté.

Son problème venait qu’il voyait régulièrement sa mère génétique et qu’il ne savait plus qui était réellement sa maman, sa place et sa culture.

En quelques mots, je lui avais dit quelle chance il avait d’avoir deux mères et concernant les cultures qu’il n’avait pas à choisir. Il devait tout simplement prendre le meilleur des deux.

J’ai compris par la suite que le message délivré avait agi efficacement. Il ne me faisait plus part de ses états d’âme et il semblait apaisé.

J’ai eu, moi aussi, l'opportunité de rencontrer une passeuse à qui, en toute intimité, un jour, j’ai pu soulager ma conscience. Je lui avais confié mon secret, presque du bout des lèvres. Elle avait su, en quelques mots bien choisis, dédramatiser ce poids qui me rongeait depuis bien des années.

Je me dit que pour rencontrer des passeurs, il existe peut-être des lieux magiques, improbables, où règne une ambiance particulière portée par le maître des lieux. Et je pense sincèrement que la Factory et Etienne font offices.

Pour terminer, il est nécessaire de parler des « synchronicité » dont je vous donne la définition :

« Développé dans le domaine de la psychanalyse par Carl Jung, le concept de synchronicité se caractérise par la survenue simultanée de plusieurs événements n'ayant pas de lien causal entre eux. En fait, c'est comme une coïncidence qui prend soudainement du sens pour la personne qui la vit. »

Si je m’en tiens à cette définition, la rencontre avec un passeur relève bien de la synchronicité puisque nous avons une coïncidence qui au moment le plus opportun qui soi, prend du sens.

Ces expériences sont parfois si intenses et troublantes que les sujets changent alors radicalement de vie et/ou de personnalité.

Je terminerais avec une synchronicité. Quelques jours avant la fermeture définitive de la librairie Tapuscrits, le local était rempli d’une centaine de cartons de livres, sans compter les rayonnages, bibliothèques autres meubles et matériels. Je m’appétais à déménager tout cela à l’aide de ma petite voiture... Nécessitant, je pense, plus d’une trentaine d’allers et retours vers la cave qu’un ami m’avais généreusement prêtée. Hé bien j’ai vu arriver Patrick, que je n’avais jamais vu auparavant. Il venait pour un projet d’écriture de court métrage et il cherchait des auteurs. Il m’a gentiment proposé de m’aider au déménagement à l’aide de son camion de chantier. Deux aller-retours et deux petites heures ont été nécessaires.

Alors, à vous maintenant d’interroger votre passé en le remontant à la recherche de ces synchronicités et rencontres qui vous auraient libéré d’un poids. Ou, qui sait et à l’aune de que je viens de vous expliquer, vous auraient sans le savoir transformé en passeur.

Et peut-être de nous les raconter, maintenant...

J’ai dit.


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